SUR LA MÉDIATION

Dr. Jean-Marc Mantel
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Les questions-réponses contenues dans cet article sont extraites d'une interview réalisée par Laurent Montbuleau, publiée dans Recto-Verso, Suisse, automne 1998.
  voir : http://www.revue3emillenaire.com/ind.htm

La question de la méditation est fort mal comprise en général par les Occidentaux.
Le Dr Jean-Marc Mantel nous fournit dans ces quelques fragments de réflexion, une approche très pertinente sur le sujet
(René Barbier)
 

SUR LA NATURE DE LA MEDITATION

Etre la méditation n'est pas faire de la méditation.
Dans le "faire de la méditation", résident une anticipation et une projection d'un moi tendu vers un but.
Le "faire de la méditation" peut cependant avoir un intérêt dans une réduction de l'agitation mentale et corporelle.
Le "faire de la méditation" est assimilé à une assise silencieuse.
Lorsque le corps n'est plus en mouvement, les habitudes d'implication émotionnelle dans l'action sont mises au repos.
Les sensations, émotions et pensées deviennent les seuls objets d'observation.
De ce fait, les mécanismes cachés par l'agitation deviennent apparents et émergent sous l'oeil attentif de la contemplation.
Les objets multiples du désir deviennent objet unique nommé paix ou quiétude.
Ce désir de paix ou de quiétude vient de l'expérience du sommeil profond,
qui laisse au réveil des traces dans la mémoire : parfum d'éternité, silence sans fond, liberté d'intention, tranquillité sans cause.
De cette expérience est issu le désir de méditer.
Le "faire de la méditation" contient encore un but projeté, comme si la tranquillité désirée se situait dans un espace séparé de celui qui la cherche.
Un moi dénommé "méditant" cherche à atteindre un état dénommé "méditation".
Il y a dans cet exercice une tension liée à la projection et à l'investissement émotionnel dans le but projeté.
Lorsque l'écoute et l'observation deviennent plus complètes, tout objet de perception est accueilli tel qu'il est, sans choix et sans préférence.
Il vient alors se résorber dans un espace conscient et silencieux qui gît en arrière-plan de la perception.
Cet espace ne peut être qualifié de moi, n'ayant ni identité spécifique, ni relation au temps et à l'espace.
Il n'est pas un objet de perception, mais est ce qui perçoit.
Le sujet témoin est également un objet d'observation, apparaissant au cour de la conscience observante.
Lorsqu'il se résorbe en sa source, ne restent qu'écoute et observation, libres de l'objet.
La méditation est ce qu'il reste lorsque ce qu'elle n'est pas n'est plus présent.
La méditation n'est pas une intention.
La méditation n'est pas une anticipation.
La méditation n'a pas de but, ne connaît ni choix, ni préférence.
Etre la méditation signifie être en unité avec le Je sans qualification.
Dans ce vécu intemporel, chaque objet est à sa place.
Les situations ne sont pas interprétées, mais simplement vues.
De cette vision, l'action juste émerge comme une réponse à la situation.
 

MEDITATION ET RELATION

Dans le monde des relations, le point de vue habituel est de nature personnelle.
Un moi se réfère à un toi.
Le moi, cherchant à affirmer ses positions, entre en conflit systématique avec ce qui s'oppose à son désir.
La relation sujet-objet est un conflit sans fin.
Un regard impersonnel posé sur la situation révèle immédiatement un espace au sein duquel la situation se déploie.
La réaction émotionnelle n'est alors plus nécessaire, car la personne n'a pas sa place dans cette vision globale.
La personnalité intervient lors du surgissement de la réponse, en lui donnant une coloration particulière.
Une réponse issue de la vision ne laisse pas de résidu. Culpabilité, peur et regret sont absents.
Une réponse issue d'une réaction stimule au contraire une réaction dans l'entourage : colère, tension et émotions émergent.
 

AMOUR ET MEDITATION

Tel un musicien qui cherche la parfaite harmonique, la nature propre de l'être cherche la juste expression de ses qualités.
Fluidité, transparence et présence résonnent comme les signes de l'amour qui se révèle.
Amour et méditation sont indissociables.
La quiétude du corps et de l'esprit lève les obstacles à l'expression de l'amour.
Le corps et la personnalité apparaissent comme des outils dont la pureté permet le plein rayonnement d'un amour qui cherche une expression sans frein.
La méditation, telle une vibration silencieuse, irradie.
L'absence d'un moi qui contrôle laisse la place libre à une présence qui transcende la forme.

QUESTION - La méditation est-elle indispensable dans une approche d'éveil de la conscience?

REPONSE - Notre vécu ordinaire est fragmentaire et divisé. Partant de la conviction que nous sommes ce que nous voyons,
le corps-mental, la peur est d'emblée présente : peur de la mort de cette identité que nous sommes persuadés être,
peur de perdre ce que nous croyons posséder, peur de ne pas obtenir ce que nous désirons.
La méditation est avant tout un art de l'observation : observation sans tension, sans a priori, jugement ou conclusion.
A travers ce regard, l'ensemble de notre fonctionnement apparaît tel un ensemble d'objets qui seraient posés sur la table.
Tout d'abord, examinons la pensée Je. La plupart des pensées qui apparaissent face au regard sont centrées sur la pensée Je.
J'ai été, je serai, je suis. Le Je est porteur d'une qualification : je suis ceci, je suis cela. L'identification au contenu de la pensée est complète.
Aucun doute n'existe sur la nature de ce que nous sommes. Un choc, une situation imprévue, une souffrance sans remède apparent, vont remettre en cause ce système de croyances.
Si la conviction qu'un remède à la portée existe, ce remède est tout d'abord essayé : médicaments, aliments, sexe, relations.
Ces tentatives d'échapper à la souffrance sont généralement efficaces quelque temps, mais inexorablement la sensation de manque et de vide réapparaît.
Ce n'est que lorsque les issues sont bloquées, ou apparaissent inefficaces, que la pression est suffisante pour qu'un renversement du regard puisse se produire.
Vient alors l'interrogation essentielle sur la nature du Je. Quel est ce Je qui se plaint d'être content ou mécontent, satisfait ou insatisfait ?
Qui suis-je ? Le regard se tourne alors vers l'intérieur. Un espace vide, vacant et silencieux est appréhendé.
Toutes les interrogations se résolvent dans le silence, au sein duquel nulle forme ne peut être saisie. Ce silence serait-il la réponse ?
La nature de ce que je suis est-elle contenue en son sein ? Si aucune tentative mentale n'est faite de répondre hâtivement à cette question, le silence est alors côtoyé.
Il devient comme la seule réponse plausible à toute quête et toute question essentielle. La question elle-même se résorbe dans son omniprésence.
Le mouvement des pensées se suspend. L'attente et l'attention, portées à leur comble, deviennent une expression d'un silence conscient de lui-même.
Le corps finit par trouver son repos dans cet espace sans limite.
La méditation, comprise comme une investigation sur la nature du moi, devient alors comme une introspection subtile qui démantèle le jeu des projections mentales.
Passé et futur apparaissent comme des images qui trouvent leur source dans la lumière du Je.
La juste prononciation du Je amène la dissolution du Je suis ceci.
Sans forme, sans qualité, sans avenir et sans passé, je suis.
Telle est le cour de toute méditation.
Toutes les pratiques spirituelles dites méditatives amènent tôt ou tard à réaliser l'irréalité du moi et l'omniprésence du Je.
Une vision impersonnelle se substitue à une vision personnelle.
Le moi est vu dans sa globalité par un regard situé en arrière-plan.
Tout est mouvance, hormis ce qui voit.
L'unité avec ce qui voit et la dissolution de ce qui est vu est réalisation.
Le but devient absence de but.
Rien d'autre n'existe que ce qui est.
 

QUESTION - On parle souvent du vide en Orient. Qu'en est-il dans notre méditation, doit-on essayer de faire le vide ? 

La perspective du vide est indissociable de la conscience du plein.
L'absence de la projection d'un Je apparaît comme un vide.
Mais ce vide se réfère à un connaisseur.
Le connaisseur n'est pas le connu.
Il est ce qui connaît.
La main ne peut se saisir elle-même.
Il en est de même avec le Je qui voit, mais ne se voit pas, étant ce qui voit.
Lorsque nous approchons le corps à travers une écoute sensible, le corps apparaît comme un ensemble de sensations.
Des tensions sont objectivées.
L'écoute silencieuse de ces tensions amène leur résorption.
Ce qui reste est espace, tranquillité.
Un corps vidé de la personnalité n'est pas un corps vide. Il est un corps plein, habité et sensible.
C'est ainsi qu'il est possible de comprendre par l'expérience que le vide amène au plein.
Vide du moi, plein de ce qui est en arrière-plan du moi.
 

QUESTION - Selon vous, une pratique de la méditation telle que vous la décrivez peut-elle amener à une relation aux autres,
à notre entourage, sans tension, attente, reproches, colères ? 

Voyons d'abord que nos relations s'accompagnent de peurs, colères et tensions.
Observons cette sensation de manque qui est à la base de l'attente.
Objectivons la comme une tension exprimée au niveau corporel.
Laissons la tension se résorber à travers une écoute aimante et non sélective.
Lorsque la tension est dissoute, la sensation de solitude et de séparation disparaît.
De ce point de vue, qui est celui de la tranquillité elle-même, les relations apparaissent sous un jour nouveau.
L'autre est objet de perception qui se résorbe en moi, regard voyant.
La solitude du regard est totale.
Elle n'est pas partageable.
En elle gît la plénitude.
Libre de moi et libre de l'autre, ne restent qu'amour, silence et présence.
L'amour se rencontre lui-même et ne connaît rien d'autre que lui-même.
 

QUESTION - Il est difficile de lâcher ce moi qui contrôle. Comment faire ? 

Celui qui cherche à faire n'est pas différent de celui qui contrôle.
Le réflexe de contrôle reflète une incapacité à l'abandon.
La vision qu'il n'y a rien à contrôler amène un lâcher-prise.
Le corps et le mental cessent de tenter de saisir.
Ce mouvement d'abandon est une ouverture à la grâce.
La grâce n'est pas le fruit d'un effort, mais le reflet de votre absence.
 
Septembre 1998
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QUELQUES ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
 
Dr. Jean-Marc Mantel

Le Dr. Jean-Marc Mantel est un médecin psychiatre, formé en France, pour l'essentiel à l'Ecole de Médecine de Paris, dont il est lauréat et prix de thèse (1981). Après ses études de médecine et sa spécialisation en psychiatrie, il a suivi un enseignement de connaissance métaphysique et spirituelle dans une école de la région parisienne. Puis il s'est intéressé au message transmis par des maîtres spirituels, le plus souvent issus de la tradition de sagesse et de connaissance de soi de l'Inde, tels que Krishnamurti et Ramana Maharshi. Il a longuement approfondi le yoga, la méditation, et les enseignements de sagesse des traditions védantiques, qu'il a étudiés auprès d'un maître spirituel contemporain, Jean Klein, lui-même ancien médecin originaire d'Europe Centrale, longuement formé en Inde, à la tradition appelée le non-dualisme, visant à éveiller le sens profond de l'unité en soi-même.

Le Dr. Jean-Marc Mantel, a été établi  en Israël de 1991 à 1998,  où il a fondé et dirige le Rambana Institute for Self-Realization, centre destiné à diffuser des enseignements de sagesse, de connaissance de soi, de yoga et de méditation. Il vit désormais en France. Il anime de manière régulière des séminaires sur la connaissance de soi, l'approche spirituelle du yoga, et la méditation, en France et en Israël. Il est auteur de nombreux articles de connaissance de soi. Il a fondé en 1994 en France l'association à but non lucratif Spiramed, qui vise à établir des liens entre la médecine, la psychologie et la spiritualité. C'est au sein de cette association qu'a été créée l'Association Internationale de Psychiatrie Spirituelle (AIPS) qui a mis en place tant en France qu'à l'étranger de nombreuses activités intégrant santé mentale, sagesse et spiritualité. Le Dr. Jean-Marc Mantel est l'actuel coordinateur de l'AIPS. Il a également une activité libérale de psychiatre, et, dans son approche thérapeutique, intègre pleinement la dimension spirituelle.

En septembre 1996, le Dr. Mantel a fondé l'association israélienne de médecine et psychiatrie spirituelle.  
 
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