Shinjinmei

Poème de la foi en l’esprit, de Sosan

L’auteur
Sosan (Seng-ts’an en chinois, mort en 606) est considéré comme le troisième patriarche chinois après Bodhidharma. On sait très peu de choses sur lui. Les textes disent qu’il était atteint de la lèpre lorsqu’il rencontra Eka (Hui-k’o), qui fit de lui son successeur, après quoi il dut simuler la folie pour échapper aux persécussions infligées aux bouddhistes, resta caché pendant dix ans, rencontra Doshin (Tao-hsin), lui remit les insignes du patriarcat (la robe et le bol de mendiant) et mourut en kinhin (méditation debout). Le Shinjinmei, qui lui est attribué, est le premier des « grands textes sacrés » du chan, né de la fusion entre le bouddhisme mahayana et le taoïsme.

Le texte
1. Pratiquer la Voie n’est pas difficile,
Mais il ne faut ni amour, ni haine, ni choix, ni rejet.

2. Il suffit qu’il n’y ait ni amour ni haine,
Pour que la compréhension apparaisse,
Spontanément claire,
Comme la lumière du jour dans une caverne.

3. Au moindre écart
Une distance infinie sépare aussitôt le ciel et la terre.

4. Si vous voulez vérifier par vous-même,
Ne prenez parti ni pour ni contre.

5. La lutte entre la saisie et le rejet,
Voilà la maladie de l’esprit.

6. Si vous ne pouvez pénétrer à la source des choses,
Votre esprit s’épuisera en vain.

7. La Voie est ronde, parfaite, vaste comme le cosmos,
Sans la moindre notion de manque ou d’excédent.

8. En vérité, parce que nous voulons saisir ou rejeter,
La vraie nature des choses nous échappe.

9. Ne poursuivez pas les phénomènes
Ne demeurez pas dans la vacuité.

10. Si l’esprit est au repos dans l’unicité,
Tout s’évanouit spontanément.

11. Si nous arrêtons tout mouvement,
Du repos viendra l’activité.

12. Si nous demeurons sur les extrémités,
Comment pourrons-nous comprendre l’unicité?

13. En perdant l’unicité
On perd aussi les deux extrémités.

14. En niant la réalité, on tombe sous son emprise.
En nous attachant à la vacuité, elle nous échappe.

15. Plus il y a de mots, plus il y a de pensées,
Plus on s’éloigne de la vérité.

16. Arrêtez de parler, arrêtez de penser
Et partout vous passerez librement.

17. En retournant à la racine, on accède au vrai sens.
En poursuivant les reflets, on perd l’origine.

18. Si nous tournons notre lumière vers l’intérieur, ne serait-ce qu’un instant,
Nous allons au-delà des apparences et de la vacuité.

19. Les changements qui se produisent dans la vacuité
Sont le fruit de notre ignorance.

20. Ne cherchez pas la vérité,
Contentez-vous d’être sans opinions.

21. Ne demeurez pas dans le dualisme,
Ne vous y attachez pas.

22. S’il reste la moindre notion de juste ou de faux,
L’esprit sombre dans la confusion.

23. Le deux dépend de l’un,
Mais ne vous attachez pas même à l’un.

24. Si aucun esprit ne se manifeste,
Les phénomènes ne dérangent pas.

25. Pas de dérangement, pas de phénomènes,
Pas de perturbation, pas d’esprit.

26. Le sujet s’évanouit quand l’objet disparaît,
L’objet s’évanouit quand le sujet disparaît.

27. L’objet est objet par sa relation avec le sujet.
Le sujet est sujet par sa relation avec l’objet.

28. Pour comprendre le sujet et l’objet,
Sachez que tous deux ont la vacuité pour unique origine.

29. Dans l’unicité de la vacuité ils sont identiques
Et contiennent les dix mille phénomènes.

30. Lorsqu’il n’y a pas de discrimination entre le subtil et le grossier,
Il n’y a aucun parti à prendre pour ou contre.

31. La grande Voie est large et généreuse,
Elle n’est ni facile ni difficile.

32. Les esprits étroits sombrent dans le doute,
Plus ils veulent aller vite plus ils vont lentement.

33. L’attachement ne connaît pas de mesure ;
Il est voué à l’erreur.

34. Lâchez prise et la Voie s’exprime spontanément,
L’essence ne s’en va ni ne demeure.

35. Si vous faites confiance à la nature,
Vous êtes en harmonie avec la Voie.

36. L’esprit entravé tourne le dos à la réalité,
Il s’assombrit et stagne.

37. Fatiguer l’esprit n’est pas sain.
À quoi sert donc de prendre parti?

38. Si vous désirez emprunter le véhicule unique,
Ne haïssez pas les six objets des sens.

39. Si vous ne haïssez pas les six objets des sens,
Vous devenez un avec l’éveil parfait.

40. Le sage est non actif,
Le fou s’entrave lui-même.

41. Dans le Dharma, pas de différenciation,
Mais l’ignorant se prend à son propre piège.

42. Chercher l’esprit avec l’esprit,
N’est-ce pas une grande erreur?

43. Dans la confusion apparaissent la stagnation et l’agitation,
Dans l’éveil n’existent ni amour ni haine.

44. Opposer les contraires
Mène à des considérations absurdes,

45. Des rêves, des fleurs du vide,
Pourquoi se donner du mal pour les saisir?

46. Le gain et la perte, le juste et le faux,
doivent être abandonnés sur le champ.

47. Si les yeux ne dorment jamais,
Tous les rêves s’évanouiront d’eux-mêmes.

48. Si l’esprit ne discrimine pas,
Tous les phénomènes relèvent de la réalité telle qu’elle est.

49. Dans le mystère profond de cette unicité,
Les entraves sont instantanément coupées.

50. Lorsque toutes choses sont vues comme égales,
Il y a retour à la nature originelle sans début ni fin.

51. Lorsqu’il n’y a plus de cause,
C’est au-delà de toute comparaison.

52. Si le mouvement est arrêté, il n’y a plus de mouvement,
Si l’immobilité est mise en mouvement, il n’y a plus d’immobilité.

53. Les deux cessant d’exister,
L’unité disparaît aussi.

54. En dernier lieu,
Il n’y a ni règle ni mesure.

55. Si l’esprit coïncide avec l’esprit,
Toute trace d’action s’évanouit.

56. Le doute étant éradiqué,
La vraie foi se renforce.

57. Comme rien ne demeure,
La mémoire ne garde aucune trace.

58. Illuminer sa propre intériorité à la clarté du vide
Ne nécessite pas la puissance de l’esprit.

59. En ce qui concerne hishiryo (1),
Il est très difficile de faire des considérations.

60. Dans la réalité telle qu’elle est,
Il n’y a ni autre ni soi.

61. Pour toucher directement cette réalité,
Exprimez simplement le non-deux.

62. Dans le non-deux, toutes choses sont égales
Et rien n’est laissé à l’écart.

63. Tous les sages de l’humanité
Enseignent la source originelle.

64. La source originelle étant au-delà du temps et de l’espace,
Un instant devient dix mille années.

65. Existant ou non existant,
Cela est partout devant nos yeux.

66. Le plus petit est identique au plus grand,
Quand les frontières sont effacées.

67. Le plus grand est identique au plus petit,
Les limites sont invisibles.

68. L’existence est non-existence,
La non-existence est existence.

69. Là où cela n’est pas ainsi,
Ne vous attardez pas.

70. Le un est toutes choses,
Toutes choses sont un.

71. Ceci étant,
Plus besoin de se préoccuper de l’imperfection.

72. L’esprit de foi est non deux,
Non deux est l’esprit de foi.

73. Là se brise la voie du langage,
Il n’y a plus ni passé ni présent ni futur.

 

Note :
1. L’esprit qui ne repose sur rien, la conscience qui n’est prisonnière ni de la pensée ni de la non-pensée.

 

source: http://deuxversants.com/lenseignement/les-grands-textes-fondateurs/shinjinmei/ Màj. 17/02/19